1.
Prom'nant sous les yeux des badauds
Un' grande affich' sur l'dos,
Tous à la file on peut les voir
S'balader sur l'trottoir,
Ils port'nt le m'nu d'un restaurant,
Ils offrent dans leur marche lente :
Potage, hors-d'œuvre et vol-au-vent,
Rôti, dessert, glace fondante.
S'il leur pès' sur le dos, ce repas,
Il n'leur pès'ra pas sur l'estomac
R.
Ce sont les Ch'valiers d'la Purée,
Qui s'en vont l'échine courbée,
Ce sont les fauchés, les mouisards
Flânant en pèr's peinards
Tout le long du boul'vard
"Chouette, un beau mégot sur l'bitume"
Quand on n'peut pas bouffer, on fume,
Leur dîner c'est un peu d'fumée,
Aux Ch'valiers d'la Purée.
2.
A la terrass' d'un grand café
Un cul-d'jatt' vient quêter
Sa voitur' c'est pas un' cent ch'vaux
C'est un' caisse à pruneaux ;
Un autre exhibe un écriteau :
Je suis sourd-muet de naissance
Il est suivi par un manchot
Dont la manch' de vest' se balance
De terrasse en terrasse ils s'en vont
Puis ils s'cach'nt pour compter leur pognon
R.
Ce sont les Ch'valiers d'la Purée
Malins ils tirent leur journée
L'soir ils se r'trouv'nt au bal musett'
L'cul-d'jatt' qu'a près d'deux mètr's
Tangue avec sa Nénette
L'sourd-muet gueule l'air de la Tosca
L'manchot serr' sa poul' dans ses bras
Ils n'sont infirmes que la journée
Les Ch'valiers d'la Purée.
3.
Mais il est de vrais miséreux
S'cachant à tous les yeux
Car autre fois ils ont connu
Un bonheur qu'ils n'ont plus
C'lui là s'est ruiné pour le jeu
Cet autre pour une maîtresse
Là plus loin c'est un pauvre vieux
N'ayant plus rien que sa détresse :
Ils s'en vont pauvres loques humaines
Le long des quais déserts de la Seine
R.
Ce sont les Ch'valiers d'la Purée,
Errant sous la lune voilée,
Ce sont les forçats du malheur
Traînant avec douleur
Leur dégoût leur rancœur...
Abattu par le désespoir
L'un deux dans le grand fleuve noir
Un soir fait la suprême plongée
Des Ch'valiers d'la Purée.