""1. Ceci est moi. Je traverse le village dans le matin glacé noir, aux vents de janvier, je vais servir la messe, ma mère m'oblige, elle croit vraiment qu'c'est mieux pour moi.
Ceci est moi. Lui, c'est mon grand-père, on chasse les patates sauvages dans le potager, la terre est chaude la terre est douce, la terre est moi sous mes pieds nus.
Ceci est moi, touchant le froid, la main grise de mon grand-père. Mort et exposé dans le petit salon près du piano. Celui où j'ai appris à jouer.
2. Ceci est mon village, c'est un mardi midi, au mois de juin 1962, au grand soleil, la rue est vide à part deux chars, garés devant le restaurant chinois.
Ceci c'est la même rue, mais c'est dimanche, après la messe. Les Pontiac, les Buick, et tout l'monde voit tout l'monde, les histoires courent, les mariages se dessinent.
Voici maintenant l'église, elle s'est à peine vidée, ça sens l'encens et les chandelles, la bonne soeur sacristine range les étoles pendant qu'le curé court casser son jeûne.
3. Voici le dernier train, a quitté mon village, not'jolie gare avec son grand parvis d'où mon papa était parti en 1940 pour faire la guerre dans les vieux pays.
Ceci c'est l'autobus qu'a remplacé le train et puis c'est moi là, qui reviens du pensionnat la nuit, je descends sur la rue principale du village vide.
Je suis déjà longtemps parti.
Ceci est la même rue que tout à l'heure, vue de la lune. De la lune on n'y voit pas grand-chose, ceci est moi et l'infini, ceci est toi et l'infini... c'est pareil... C'est pareil.""